CHAPITRE 16
Les politiciens bothans disent-ils parfois la vérité ? Évidemment, ils sont prêts à tout pour gagner une élection !
Jacen Solo, quinze ans
La victoire était proche.
Sur le pont de commandement de l’Anakin Solo, l’air sifflait à travers un réseau de fêlures de la taille d’un cheveu au niveau du bouclier anti-explosion. La cabine de jour de Caedus avait disparu et un des murs intérieurs abritait désormais une cavité concave consécutive à une déflagration. Les alarmes de verrouillage hurlaient dans chacune des salles du pont et toute l’équipe de commandement courait vers les écoutilles.
Mais Caedus restait calmement dans le salon tactique, le regard fixé sur l’holo-écran, comme s’il tentait de comprendre la bataille incohérente qui se déroulait. Il savait évidemment déjà ce qui s’était passé. Les Jedi s’étaient servis de la piste de sang pour l’attirer dans une embuscade puis Luke avait mené un assaut désespéré sur l’Anakin Solo dans l’espoir de le faire sortir.
Et Caedus avait survécu. Lorsque les Jedi avaient commencé leur attaque, il se trouvait dans sa bulle d’observation et utilisait sa méditation de combat pour voir, grâce à la Force, ce que les détecteurs ne percevaient pas. Il avait été obligé de tout regarder avec son esprit, en donnant des ordres inutiles et des avertissements stériles tandis que sa sœur et Zekk endommageaient les boucliers. Un instant plus tard, les StealthX étaient passés sur la coque supérieure de l’Anakin Solo, leurs bombes fantômes guidées par les Jedi créant des brèches de quatre ponts de profondeur.
Puis Caedus avait remarqué le Bes’uliik. Lorsqu’il s’était rendu compte que Luke le pilotait, ses intestins s’étaient glacés. En se rendant compte que Luke venait pour lui – exactement comme il l’avait vu dans ses visions – il avait bondi de son siège de méditation et s’était précipité dans le salon tactique, en fermant à peine l’écoutille, avant que Luke largue ses bombes.
L’écoutille avait tenu, et tenait toujours. Caedus regardait à présent l’holo-écran et y voyait un trône ; un trône blanc dans une salle brillamment éclairée. Personne n’était assis dessus, mais il était entouré par une centaine de personnes assez majestueuses pour pouvoir y prétendre. Il y avait là des êtres de toutes les espèces – des Bothans et des Hutts, des Ishis Tibs et des Mon Calamaris, et même des humains et des Squibs – et ils avaient tous l’allure amicale de vieux amis.
Mais ce qui soufflait Caedus – ce qui le faisait rester là malgré les alarmes et le flimsiplast qui flottait dans l’air qui s’échappait – était la grande femme rousse au centre de la foule. Elle avait les fins sourcils arqués de sa mère et des lèvres pulpeuses, mais son nez était celui de sa grand-mère, petit, assez court et légèrement en trompette.
— Seigneur Caedus ! (La voix de Tahiri était devenue aussi stridente que les alarmes et elle le tirait par le bras, essayant en vain de l’éloigner de l’holo-écran.) Qu’est-ce qui vous prend ?
— Me prend ? Rien... rien du tout.
Caedus resta fermement ancré sur le pont, sans cesser de regarder son Allana devenue adulte jusqu’à ce qu’un morceau de flimsiplast traverse l’holographe. Le trône blanc et les amis majestueux disparurent alors et le visage de sa magnifique fille se transforma en celui, plein de colère et de haine, de sa sœur Jaina.
Prépare-toi, Caedus, le prévenait-elle. J’arrive.
Caedus éclata de rire.
— Je suis prêt, Jaina, dit-il avant de tourner le dos à cette vision et d’enfin permettre à Tahiri de l’emmener à l’écart. Et j’ai déjà gagné.
— Je suis désolée, Mon Seigneur, dit Tahiri sans lui lâcher le bras et le tirant littéralement par l’écoutille à l’arrière du salon. Je ne comprends pas.
— Jaina vient pour moi, expliqua Caedus en riant. Luke Skywalker n’a pas réussi à me tuer. Que compte-t-elle faire ?
— Je ne le sais vraiment pas, dit Tahiri. (Elle verrouilla l’écoutille et le sifflement de l’air qui s’échappait devint inaudible.) Mais mieux vaut ne pas la prendre à la légère. Vous êtes encore en convalescence et elle est...
— Quasiment déjà morte, dit Caedus en se dirigeant vers le turbo-ascenseur. Nul besoin de se soucier de ma sœur. Nous avons gagné. Je l’ai vu.
Tahiri parut plus inquiète que convaincue. Mais plutôt que de discuter, elle s’estima heureuse de pouvoir le faire entrer dans le turbo-ascenseur. En descendant vers le Centre de Commandement Auxiliaire caché dans les profondeurs du vaisseau, elle prit un moment pour lisser sa robe puis se plaça face à son maître pour réajuster sa tenue.
— Les Moffs sont en mauvaise posture, le prévint-elle. Ils ont peur...
— Evidemment qu’ils ont peur, dit Caedus. Ils ne pensent qu’à eux et ils ne craignent que pour leur propre vie.
Tahiri replia le revers de la cape de Caedus.
— En fait, ils sont aussi effrayés que leur flotte d’assaut, expliqua-t-elle. Ils ont peur que nous perdions la guerre.
— Perdre ? se moqua Caedus. Ils n’ont pas assisté aux briefings des renseignements ?
— Ils s’inquiètent plus de notre situation actuelle, dit-elle. Pour tout avouer, moi aussi.
Caedus commença à s’énerver. Bwua’tu avait déjà tué les traîtres de Niathal et piégé les flottes bothanes et corelliennes sur Carbos Treize. L’amiral Atoko neutralisait le fléau mandalorien en infligeant une rénovation urbaine dont avait grand besoin Keldabe, simplement avec ce qui restait de la Cinquième Flotte. Et oui, les Moffs s’inquiétaient parce qu’ils faisaient ici face à une résistance mineure. Espéraient-ils que les Jedi se fassent battre aussi facilement que les Mandaloriens et les Corelliens ?
Mais Caedus ne laissa pas sa colère prendre le dessus. Il perdrait sa concentration et ne pouvait se le permettre, pas alors que Jaina était en liberté, pas alors qu’il était si proche de la victoire.
— J’apprécie cet avertissement, Tahiri, dit-il. Je vais les rassurer.
— Ce sera difficile, Mon Seigneur, dit-elle. Même pour vous.
Elle baissa les yeux et Caedus sentit qu’elle rassemblait son courage.
— Tahiri, depuis combien de temps nous connaissons-nous ? demanda-t-il. Dis-moi.
Elle hocha la tête puis le regarda.
— Ils nous cachent quelque chose. Je le sens quand je suis près d’eux.
Caedus sourit.
— Bien sûr qu’ils nous cachent quelque chose, dit-il. Ce sont des Moffs.
Tahiri ne se laisserait pas décontenancer par ses blagues.
— Ils n’ont pas confiance en vos capacités ; pas vraiment, dit-elle. Cela passerait si nous n’avions pas été pris en embuscade.
— Difficile de les contredire, dit Caedus. Mais je ne vois pas le rapport avec notre situation.
— Réglez-la, dit Tahiri. Je crois que c’est le seul moyen de retrouver leur confiance.
— La régler comment ? demanda Caedus. Tu crois que je peux modifier le passé ?
Tahiri parut troublé.
— Ben... ouais, avoua-t-elle. Vous l’avez fait pour moi.
Caedus comprit alors.
— Tu parles du baiser.
— De quoi d’autre ? demanda-t-elle. Vous avez remonté le cours du temps jusqu’à la bataille de Baanu Rass et j’ai embrassé Anakin. Si vous avez pu le faire, pourquoi ne pas repartir dans le passé et prévenir quelqu’un de l’embuscade ?
Le turbo-ascenseur atteignit le Centre de Commandement Auxiliaire et s’arrêta. Avant que la porte s’ouvre, Caedus tendit un bras et appuya sur le bouton STOP. Il savait pourquoi Tahiri pensait qu’il pouvait faire une chose pareille : parce qu’il lui avait laissé croire. Son obsession pour Anakin lui avait bien servi ; elle avait tellement espéré – et l’espérait encore – ramener Anakin que Caedus n’avait presque pas eu besoin de sous-entendre que c’était possible. Tahiri avait simplement saisi cet espoir et il l’avait utilisé pour la plier à sa volonté. Mais le temps était venu de lui avouer la vérité. Avec la victoire toute proche, il devait emmener Tahiri jusqu’au prochain niveau pour l’aider à devenir une vraie Dame Sith dotée de ses propres aspirations et du caractère impitoyable pour les mener à bien.
Caedus lui posa une main bienveillante sur l’épaule.
— Tahiri, je vais te dire quelque chose qui va te mettre très en colère. Je veux que tu te nourrisses de cette énergie parce que tu vas en avoir besoin avant que ce dernier combat soit achevé. Mais si tu la laisses prendre le contrôle, tu te perdras. Tu ne me seras plus d’aucune utilité. Tu peux y arriver ?
Le trouble de Tahiri se transforma en détresse.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle. Vous êtes en train de me dire que ce n’était pas vrai ? Que lorsque nous avons remonté le temps pour voir Anakin, nous étions simplement...
— Nous avons bien remonté le temps, l’interrompit Caedus. Nous sommes retournés à la bataille de Baanu Rass et tu as bien embrassé Anakin. Mais le passé n’a pas changé. C’est impossible.
Le déni se mit à brûler dans les yeux de Tahiri.
— Ça n’a aucun sens, dit-elle. Si je l’ai bien embrassé, alors nous avons changé le passé.
Caedus secoua la tête.
— Lorsque tu lances un caillou dans une rivière, que se passe-t-il ? Il y a une éclaboussure qui disparaît. L’éclaboussure est réelle, mais la rivière ne change pas. Elle continue exactement comme avant.
— Mais elle change, le contra Tahiri. Peut-être qu’on ne peut pas le voir, mais le caillou est toujours là, en train de rouler au fond de l’eau.
— Et le baiser est encore là, lui aussi, dit Caedus en tapotant doucement la tempe de Tahiri. Là-dedans. C’est là qu’est le fond du courant.
— Dans ma tête ?
— Dans ta façon de percevoir le passé, expliqua Caedus.
Il n’était pas surpris par la colère et l’incrédulité dans la voix de Tahiri. Lorsque les moines Aing-Tii lui avaient expliqué pourquoi il ne pouvait empêcher Anakin de mourir, il avait réagi de la même façon.
— Nous sommes retournés à la bataille de Baanu Rass et tu as embrassé Anakin, dit-il. Qu’est-ce qui a changé ? Le passé ou ton souvenir du passé ?
Tahiri secoua la tête, pas encore prête à abandonner.
— Et Tekli et les autres membres de la brigade d’intervention ? Vous aviez peur qu’ils nous voient.
— Qu’ils se rappellent nous avoir vus, corrigea Caedus. Tout comme Raynar se souvenait de m’avoir croisé lorsqu’il est sorti du Tachyon Flier. Mais je n’étais pas là. J’étais sur Coruscant, en train de me faire torturer par Vergere. Raynar se souvenait de l’éclaboussure.
À l’air déconfit de Tahiri, Caedus s’aperçut qu’elle commençait à comprendre, mais elle n’allait pas encore abandonner.
— Et si l’on est blessé ? dit-elle. Si nous ne sommes que des éclaboussures, pourquoi devions-nous faire si attention dans le passé ? Une éclaboussure ne peut pas être blessée.
Caedus secoua la tête.
— Tahiri, tu connais la réponse. L’esprit est une arme puissante, surtout chez les utilisateurs de la Force. Si nous nous rappelons avoir été blessés... (Il relâcha le bouton STOP et la porte s’ouvrit.) Je suis certain que tu comprends.
Pendant un moment, Tahiri resta sans voix, le visage rouge de colère, les yeux humides. Elle sortit du turbo-ascenseur.
— Oh, je comprends, Seigneur Caedus. Vous êtes de la bave sous la queue d’un Hutt. Nourrissez-vous de ça.
Caedus sourit et entra calmement dans le vestibule, où deux escadrons de sentinelles de la GAG en armure noire attendaient, bouche bée. En face d’eux, des stormtroopers de la Garde d’Elite servant de gardes du corps pour les Moffs entraient dans un long couloir qui donnait sur les renseignements auxiliaires et les cabines de contrôle de l’Anakin Solo.
Caedus s’arrêta devant un sergent de la GAG expérimenté et poussa un soupir d’exaspération feinte.
— Ces apprentis, dit-il. Ils sont parfois si susceptibles.
Le sergent acquiesça avec sagesse et Caedus sentit la tension quitter la Force tandis que les gardes des deux groupes décidaient que ce qui se passait entre les deux Sith ne regardait qu’eux.
— C’est la même chose avec tous mes subordonnés, Mon Seigneur. (Le sergent regarda le Gotal au visage plat, aux cônes sensoriels gris et aux joues inégales et poilues, puis il se pencha.) J’ai parfois envie de les tuer.
— Il vaudrait mieux que vous laissiez faire l’ennemi à votre place, dit Caedus avec un petit rire. Vous êtes toujours en contact avec le commandant Berit ?
L’expression du sergent devint sinistre.
— Pas depuis que nous avons été touchés, Mon Seigneur, dit-il. Nous n’avons plus eu aucun contact du Pont Noir. Notre comm tout entière ne fonctionne plus. Ainsi que la surveillance.
— C’est ce que je craignais. (Caedus acquiesça et en arriva à la même conclusion que le sergent : le Pont Noir, le surnom du Quartier Général de la Sécurité du bâtiment, avait été détruit au cours de l’attaque des StealthX.) Ma sœur est montée à bord de l’Anakin Solo. Je veux que vous partiez à sa recherche.
— À vos ordres, Mon Seigneur, dit le sergent. Avez-vous, heu, une idée de l’endroit où nous devrions commencer.
Caedus secoua la tête.
— Elle se cache dans la Force et je ne peux donc pas vraiment sentir sa présence. (En s’apercevant que le sergent expérimenté était trop discipliné pour poser la question qui aurait logiquement dû suivre, il regarda le plafond.) C’est plus comme une odeur, sergent... une odeur qui est omniprésente.
Le sergent reçut cette information avec le calme d’un homme qui a passé sa vie à accepter des ordres qu’il ne comprenait pas.
— Très bien, dit-il. Et lorsque nous l’aurons trouvée ?
— Prévenez-moi, dit Caedus. Je dois m’en occuper personnellement. Si vous tentez de vous en charger vous-même, vous ne réussirez qu’à vous faire tuer, vous et vos hommes.
— Merci de votre considération, dit le sergent, visiblement plus soulagé qu’il l’aurait dû et un peu surpris. Vous pensez que l’Anakin Solo va survivre à cela ?
La question décontenança Caedus ; il ne lui était jamais venu à l’idée que l’Anakin Solo pourrait ne pas survivre. Il réfléchit à sa réponse un instant, étendit sa conscience dans la Force jusqu’aux quatre coins du Destroyer Stellaire et fut surpris de ressentir autant de douleur, de désordre et de peur. Mais il percevait également la détermination et la concentration d’un équipage bien habitué aux combats désespérés, d’êtres qui comprenaient qu’ils avaient de plus grandes chances de survie en gardant la tête froide et en accomplissant leurs tâches.
Caedus regarda de nouveau le sergent.
— Il est encore trop tôt pour en être sûr, mais je vais vous dire un secret. (Il posa une main sur l’épaule du sergent.) Cela n’a aucune importance. Nous avons déjà gagné.
Une lueur de doute et de déception apparut dans les yeux du sergent et son expression devint aussitôt prudente et neutre.
— C’est bon à entendre, Mon Seigneur.
Caedus esquissa un petit sourire.
— Douter de moi n’est pas très malin, sergent, dit-il. Nous avons gagné. Je l’ai vu.
Caedus abandonna le soldat à son scepticisme silencieux et entra dans le Centre de Commandement Auxiliaire où le personnel n’avait pas du tout l’air de croire en la victoire. Les officiers du vaisseau étaient assis devant leurs consoles à l’autre bout, criant dans leurs micros ou les uns sur les autres pour déterminer l’étendue des dégâts de l’Anakin Solo. L’état-major était rassemblé autour d’un holo-écran presque entièrement blanc près de l’entrée de la salle, paraissant moins débordé, mais plus inquiet, car avec si peu de données fiables à analyser ses membres n’avaient rien d’autre à faire.
Tahiri s’écarta et se plaça devant une rangée de postes de traitement inoccupés. Elle était entourée par une foule de Moffs aux sourcils froncés qui parlaient avec leur chef aux cheveux blancs et à la tenue de combat, Lecersen, avec les voix inquiètes de personnes affrontant une vérité déplaisante et triste.
Quand Caedus approcha, Lecersen se tut brusquement et se tourna vers lui.
— Seigneur Caedus, quel plaisir de vous voir, dit-il. J’expliquais justement à Dame Veila combien nous nous faisions du souci pour votre santé.
— C’est vrai, confirma Tahiri. Les Moffs s’inquiètent de votre santé mentale.
De la consternation bouillonna dans la Force et plusieurs Moffs, les yeux écarquillés et effrayés, se mirent à bredouiller que c’était faux. Seul Lecersen ne parut pas surpris par la trahison effrontée de Tahiri ; il la regarda avec un mélange de haine et d’admiration. Caedus s’autorisa un petit sourire fier ; Tahiri avait beau être en colère contre lui, elle avait visiblement décidé qu’elle ne serait le jouet de personne.
Après avoir laissé les Moffs bafouiller leurs dénégations pendant un moment, Tahiri se tourna vers Caedus. D’une voix glacée, elle ajouta :
— J’ai essayé de leur dire que vous n’êtes qu’un fils de Hutt, mais bizarrement, ils ne semblent pas me croire.
Que Tahiri lui parle ainsi parut choquer Lecersen lui-même. Un silence de mort tomba sur le groupe et Caedus comprit que la façon dont il réagirait à cette insulte déterminerait non seulement le degré d’autorité qu’il garderait sur elle, mais aussi la façon dont les Moffs le verraient. Après avoir jeté un regard noir à Tahiri pendant un moment, il décida qu’il valait mieux exploiter sa colère.
— Oui, et vous me connaissez bien mieux qu’eux, dit-il avant de regarder les Moffs. Les Moffs apprendront, j’en suis sûr.
Lecersen et plusieurs autres partirent d’un rire nerveux et éprouvant que Caedus fit taire d’un froncement de sourcils.
— Moff Lecersen, vous seriez gentil de me rapporter ce dont vous parliez avec mon apprentie, ordonna Caedus en imposant délibérément son autorité pour tester l’envie du Moff de le défier. Oubliez le moment où vous avez suggéré que je pouvais être fou. Votre opinion à ce sujet ne m’intéresse absolument pas.
Lecersen commença à nier avoir pu insinuer cela, puis il parut se souvenir qu’il était difficile de mentir à un utilisateur de la Force et acquiesça.
— À vos ordres, Mon Seigneur, dit-il. J’exprimais simplement notre inquiétude sur la situation tactique et suggérais d’intervenir pour renverser le cours de la bataille.
— Les suggestions sont toujours les bienvenues, dit Caedus. À l’avenir, faites-les-moi directement. Inutile d’embêter mon apprentie avec cela.
Lecersen inclina la tête.
— Comme vous voulez, Seigneur Caedus, dit-il. Je suggérais à Dame Veila que nous pourrions sauver la flotte d’assaut des Vestiges en perturbant la structure de commandement hapienne à son plus haut niveau. Nous pourrions le faire en attaquant le Reine Dragon.
Caedus ne pouvait pas lire assez clairement les pensées de Lecersen pour savoir de quel genre d’assaut le Moff parlait. Mais la véritable cible ne faisait aucun doute. Le Reine Dragon était le vaisseau amiral personnel de Tenel Ka. Si les Moffs évoquaient l’idée de l’attaquer, il s’agissait d’attaquer Tenel Ka en personne.
Et cela n’aurait posé aucun problème à Caedus s’il n’avait pas senti une autre présence familière à bord du Reine Dragon pendant sa méditation de combat. Juste avant l’embuscade, il avait remarqué la mère et la fille, à l’extrémité de la flotte hapienne.
Au début, Caedus avait été troublé par cette découverte, car il pensait que Tenel Ka n’aurait jamais mis en danger leur fille en l’emmenant au milieu des combats. Puis il s’était mis à la place de Tenel Ka et avait compris qu’elle n’avait pas le choix. Il avait déjà enlevé Allana et Tenel Ka n’était pas du genre à le laisser recommencer. Elle n’hésiterait pas à garder sa fille près d’elle, même au combat. Ainsi, elle était sûre que si Caedus tentait de nouveau de capturer sa fille, il devrait d’abord croiser son chemin.
Après avoir pris un instant pour se remettre – et pour s’assurer que son inquiétude ne se lisait pas sur son visage – Caedus mit les mains dans le dos et acquiesça.
— Une idée intéressante, dit-il. Continuez.
Lecersen parut légèrement, mais agréablement, surpris.
— Vous savez comment fonctionnent nos nanotueurs ?
Caedus hocha la tête en se rappelant des échantillons de sang que les médics des Vestiges avaient pris à Mirta Gev.
— Vous pouvez les programmer pour qu’ils visent des cibles spécifiques en se basant sur leurs marqueurs génétiques, dit-il. Il vous suffit d’un échantillon d’ADN de la cible.
— Exactement, dit Lecersen. Mais il n’est pas obligatoire qu’il s’agisse de leur propre ADN. Il peut provenir d’un proche parent. Nous avons pu développer une souche pour Boba Fett à partir de l’ADN de sa petite-fille, par exemple. Et comme le Prince Isolder est retenu prisonnier...
— Évidemment, dit Caedus.
Il voyait où son interlocuteur voulait en venir et il n’aimait pas ça ; pas alors qu’Allana était à bord du Reine Dragon. Mais il ne pouvait pas se permettre de laisser les Moffs discerner son inquiétude. S’ils apprenaient sa faiblesse, ils n’hésiteraient pas à l’exploiter.
— Comment se déroule le projet Fett, au fait ?
Lecersen eut un petit sourire.
— Il est achevé, Mon Seigneur, dit-il. L’amiral Atoko a confirmé le succès de la livraison peu avant que nous quittions Nickel Un.
Caedus laissa la joie apparaître sur son visage.
— Il y a donc un nanotueur qui attend Fett sur Keldabe ?
— Pas seulement sur Keldabe, corrigea Lecersen. Il a été dispersé dans l’air. Il est à présent éparpillé sur la moitié de Mandalore. Lorsque Fett aura enfin fini de jouer à l’as des manettes et reviendra à la surface, il finira bien par entrer en contact avec lui.
— Et la date d’expiration ? demanda Tahiri. Je croyais que vous aviez conçu les nanotueurs pour qu’ils cessent d’être une menace au bout de plusieurs jours.
— Seulement pour les souches massives, expliqua Lecersen. Les souches assassines, comme celle que nous avons envoyée pour Fett, peuvent durer indéfiniment. Tant qu’elles absorbent un peu de lumière tous les trois ou quatre jours, elles ne meurent pas.
— Bien joué, dit Caedus. Merci. (Il engloba du regard les autres Moffs.) Merci à tous.
Lecersen fit claquer les talons et pencha la tête.
— C’est un plaisir d’être à votre service, Mon Seigneur, dit-il. Mais nous le faisons aussi pour nous ; une revanche pour l’attaque sur Nickel Un.
— Encore mieux, dit Caedus. Nous allons montrer à Fett qu’il est le plus petit rancor de la fosse.
— En effet, dit Lecersen. Espérons que cette leçon le tue.
— Oui, mais je ne vois pas en quoi un nanotueur peut nous aider en ce moment, dit Caedus en tentant d’écarter l’idée sans dévoiler la peur qu’elle lui inspirait. Les combats seront finis avant que votre souche soit prête.
— Pas obligatoirement, Mon Seigneur, dit Lecersen. La difficulté dans le développement des souches provient du fait que nous devons exclure les marqueurs génétiques du bassin cible. Si cela n’est plus un obstacle, le procédé peut-être accéléré. Nous pourrons avoir un échantillon prêt dans moins de...
Lecersen fit une pause et regarda Moff Rezer.
— D’une heure, dit Rezer. (Comme Lecersen, il s’agissait d’un homme au regard sévère, à la bouche étroite et à la tenue militaire.) Deux, au pire.
Caedus haussa un sourcil.
— Ça pourrait être assez rapide, avoua-t-il en s’inquiétant de plus en plus. Mais déployer l’arme reste un problème. Même en connaissant l’emplacement du Reine Dragon, il faudrait la flotte d’assaut tout entière pour soutenir un abordage.
— En fait, des rapports nous indiquent que le Reine Dragon se trouve tout à l’arrière des combats, expliqua Rezer. Faire entrer à bord un groupe de commandos ne devrait pas être un problème, surtout s’ils ressemblent à l’équipage d’un largueur de missile endommagé.
Tahiri acquiesça.
— Ça pourrait marcher, dit-elle en se tournant vers Caedus. Vous connaissez la royauté hapienne. La moitié des officiers du Reine Dragon sont sans doute apparentés à Tenel Ka d’une façon ou d’une autre.
— C’est une possibilité intéressante, dit Caedus.
Il n’avait jamais parlé d’Allana à Tahiri et elle soutenait sans doute l’idée des Moffs parce qu’elle croyait en son succès et pas parce qu’elle voulait punir Caedus d’avoir utilisé son obsession pour Anakin. Cela l’obligeait donc à rejeter de manière plus véhémente ce plan.
— Mais un nanotueur ne sera pas nécessaire. Nous avons déjà gagné.
— Pardonnez-moi, mais on ne dirait vraiment pas que nous gagnons, dit Lecersen en paraissant aussi surpris que peu convaincu. Et les rares rapports que nous avons reçus du champ de bataille...
— Moff Lecersen, l’interrompit Caedus. Je vois des choses que les êtres ordinaires ne discernent pas. La victoire nous est déjà acquise. Il n’y aura pas de nanoattaque contre le Reine Dragon, ni aucun autre vaisseau. C’est clair ?
Lecersen resta bouche bée, mais baissa la tête pour signifier qu’il avait compris.
— À vos ordres, Seigneur Caedus, dit-il. J’essayais simplement de sauver des vies, des vies appartenant à l’Empire.
— Alors obéissez-moi, répondit Caedus. Vous sauverez beaucoup de vies, à commencer par la vôtre.
Cette menace fit passer un éclair dans les yeux de Lecersen, mais il savait qu’il ne valait mieux pas abuser de la patience de Caedus.
— J’ai une foi absolue en vous, dit-il. J’attends votre victoire avec impatience.
Caedus sentait que le Moff mentait, mais il ne pouvait pas dire précisément à quel sujet. Cet idiot pensait-il qu’il pouvait voler un échantillon du sang d’Isolder sous le nez de Caedus ?
— Notre victoire, Moff Lecersen, répondit Caedus. (Une explosion retentit quelque part au-dessus et il leva les yeux.) Nous sommes tous ensemble, n’est-ce pas ?
Le sourire de Lecersen parut méprisant.
— C’est très gentil à vous de dire cela, Mon Seigneur. Je commençais à croire que vous étiez plus intéressé par notre flotte que par nos conseils.
— Rien ne serait plus faux, dit Caedus. À présent, si vous voulez bien m’excuser, je dois vraiment trouver ma sœur avant qu’elle ne nous trouve.
Les Moffs pâlirent et Lecersen dit :
— Certainement, Mon Seigneur. Nous ferons les préparatifs nécessaires pour le transfert du commandement sur le Megador.
— J’ai peur qu’il n’y ait pas le temps pour ça, dit Caedus. Le Megador sera occupé à sauver votre flotte.
Les Moffs se mirent alors à murmurer, surpris, et Rezer dit :
— Mais cela laissera l’Anakin Solo exposé à une autre attaque de StealthX.
— Ce qui explique pourquoi nous suivrons le Megador au combat, dit Caedus. On ne peut pas gagner de guerre sans risquer de vies, Messieurs. C’est le moment où nous risquerons les nôtres.
Caedus fit signe à Tahiri de le suivre puis demanda au capitaine de l’Anakin Solo de lui donner des nouvelles de l’état du Destroyer Stellaire. Après avoir appris que les boucliers étaient les seuls systèmes critiques qui ne seraient pas réparés dans les minutes à venir, il félicita le capitaine et l’équipage pour leur bon travail puis donna ses ordres. Si le capitaine s’inquiéta à l’idée de suivre le Megador au combat sans boucliers, il eut la présence d’esprit de ne pas le montrer. Il prit simplement connaissance de ses ordres puis se tourna pour les exécuter.
Caedus hocha la tête pour marquer son approbation, partit vers la porte puis s’adressa à Tahiri tout en marchant.
— La vraie base Jedi n’est sans doute pas loin, dit-il. Je veux que tu prennes un StealthX et que tu trouves les transports qui viennent de quitter la Station Uroro. Ils te montreront le chemin.
— Ça va aider en quoi... ? demanda Tahiri.
— Ça va aider parce que le Megador ne mettra pas longtemps à se sortir de l’embuscade hapienne, expliqua Caedus. Nous te suivrons alors aussitôt.
— D’accord, dit Tahiri. Mais me laisser croire que nous pouvions ramener Anakin était une façon horrible de me manipuler. Je ne vous ai toujours pas pardonné.
— Et je crois que tu ne le feras jamais, dit Caedus. C’était un peu le but.
Ils quittèrent le Centre de Commandement Auxiliaire et arrivèrent au turbo-ascenseur. Caedus laissa entrer Tahiri la première.
— Tu montes, dit-il.
Caedus envisagea d’embrasser son front couvert de cicatrices et de lui souhaiter bonne chance. À une époque, elle aurait apprécié un tel geste. Mais ce n’était plus le cas ; il lui avait donné une leçon importante sur la confiance et elle ne l’oublierait jamais.
— Je dois m’occuper de quelque chose, ajouta-t-il.
— Isolder, dit Tahiri en acquiesçant. Dommage. Je l’aimais bien.
— Moi aussi, dit Caedus.
Il ne pouvait s’empêcher de se demander si Tahiri savait qu’il était le père d’Allana. Elle l’avait peut-être entendu par hasard chuchoter son nom dans son sommeil ou avait surpris une conversation lorsque Allana se trouvait à bord de l’Anakin Solo.
— Mais je ne vais pas prendre de risque, dit-il. Pas avec ça.